Jeudi 28 novembre 1935 : L'enlévement de Claude Malmejac

 

L'ENLEVEMENT

I

La nurse et l'enfant

 
II

Après-midi au Parc Amable Chanot

 
III

L'inconnue

 
IV

Le voyage en taxi

 
V

L'enlèvement

 



Remarques : Le compte-rendu du drame tel que vous le découvrez, est en fait la mise en écriture des témoignages de certains acteurs lors d’émissions diverses, des récits des témoins, des compte-rendu des journaux de l’époque, que ce soit les quotidiens nationaux comme le Petit-Parisien ou l’Intransigeant, pour ne citer que les principaux, ou la presse locale, le Petit Marseillais et le Petit Provençal en tête.

La plus grande partie de l’iconographie est issue des photos publiés par deux quotidiens connus pour leurs photos : Paris-Soir et l’Intransigeant. La mauvaise qualité de cette iconographie est due à l'utilisation du bélinographe, appareil de transmission des photos à distance par le biais du système téléphonique, appareil révolutionnaire pour l’époque et ancêtre du télécopieur.

Ce récit se veut être le plus proche possible des réactions humaines qu’ont eu les témoins et les acteurs du drame en ce jour tragique. Il se veut surtout être un texte à la mémoire des habitants de Marseille qui se sont tant inquiété du sort d'un enfant qu'il ne connaissait pas mais qui, pour eux, était avant tout un enfant de Marseille..

 

A la fin de ce mois de novembre 1935, Marseille vit au rythme des changements politiques. Changements nationaux mais aussi changements locaux. A Paris, le gouvernement Laval (dit "Laval 4" car quatrième gouvernement dirigé par Pierre Laval) subit l’une de ses plus graves crises internes, crise provoquée par l'envahissement de l'Éthiopie par l'Italie, bafouant ainsi les certitudes françaises. A Marseille, au mois de mai dernier, les socialistes de la S.F.I.O., menés par le charismatique Henry Tasso, ont chassé de la Mairie le falot docteur Georges Ribot et son premier adjoint Simon Sabiani.

Mais, au-delà de la défaite de Georges Ribot, c’est surtout la défaite d’un système politique gangrené par les passe-droits et les magouilles, le système très particulier du puissant et surtout emblématique premier adjoint, Simon Sabiani.. Au plus fort de sa puissance, il avait même poussé l’arrogance à proclamer son amitié envers les deux parrains du milieu local, Paul Carbone et Louis Spirito. Comble de la provocation, Il avait reconnu cette amitié par voie d'affiches,  placardées sur tous les murs de la cité phocéenne le 3 avril 1934.

Economiquement parlant, la ville se porte bien. Les grèves de 1936 ne sont pas encore à l’ordre du jour et la puissance économique des financiers marseillais est au plus haut. La crise de la fin des années vingt est loin et rien ne semble pouvoir arrêter la croissance du port autonome.

La presse locale ronronne, que ce soit le puissant « Petit Marseillais » ou son concurrent direct le « Petit Provençal ». On retrouve ainsi à la « une » de ces journaux, les mêmes sujets et presque les mêmes titres, seuls les éditoriaux se différencient. La priorité ce jour là est, bien entendu, la rentrée parlementaire avec la grande question que tous les français se posent : « Pierre Laval, le Président du Conseil, va- t’il demander la priorité de discussion pour les interpellations relatives à la politique financière de la France ? » La guerre Italo-éthiopienne fait encore la « une » tout comme l’affaire Stavisky qui entame sa quatrième semaine de procès. Enfin, sur le plan local, tous les journaux parlent en première page de l’élection de Paul Barlatier, le directeur du « Sémaphore » à la présidence de « l’Automobile Club de Marseille et de Provence »

Mais, en ce 28 novembre 1935, tout cela n'intéresse guère la jeune Georgette Perrachon.

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I / La nurse et l'enfant :


Âgée de seize ans, Georgette Perrachon est entrée au mois de mai dernier, au service d'un jeune couple fraîchement installé à Marseille : les Malmejac. Elle y tient le rôle de nurse pour le premier enfant du couple, le petit Claude, un enfant ayant tout juste dix huit mois.


La famille Malmejac

La famille Malmejac


Le docteur Malmejac est le fils d’un pharmacien de l’armée, maintenant à la retraite, résidant à Oran. Il fit des études brillantes à la Faculté de Médecine d’Alger où il fut le chef de travaux du professeur Tournadre. Après avoir passé son agrégation avec mention,  il fut nommé enseignant à la Faculté de Médecine de Marseille. Brillant professeur, il y détient la chaire de Physiologie depuis un peu plus d’un an. De tous les avis, il est promis à un brillant avenir qui, d’ailleurs, ne se démentira pas.

Le docteur Malmejac est marié depuis 1932 avec Mlle Odette Vacherot, fille de propriétaire terrien à Roulba, en Algérie. Le jeune couple, par ailleurs depuis peu parent d’un garçon prénommé Claude né en 1934, vient d’emménager dans un immeuble de construction récente au 185 avenue du Prado, immeuble dans lequel loge aussi la grand-mère maternelle de Mme Malmejac, Mme Sarlande.

Georgette Perrachon

Georgette Perrachon

La jeune nurse est heureuse d'avoir obtenue cet emploi qui lui permet de joindre l’utile à l’agréable. Par ce travail, elle dispose à la fois d’une autonomie certaine et de la possibilité de voir des régions que beaucoup de Marseillais n'auront jamais l'occasion de connaître.

En effet, son poste l'oblige à suivre ses patrons dans tous leurs déplacements qui sont nombreux et variés. Ainsi, elle a passé les trois mois de l'été 1935 à Chamonix et elle a appris, peu de temps auparavant, qu'un nouveau voyage est programmé pour bientôt. Elle doit en effet accompagner le couple Malmejac en Algérie où réside une partie de la famille.

Elle est aussi heureuse d'avoir des patrons aussi compréhensifs que les Malmejac qu'elle apprécie beaucoup même si le docteur Malmejac la trouve un peu "tête en l'air" et lui en a fait le  reproche plusieurs fois.


Au fil des mois, elle a aussi appris à aimer le petit Claude, cet enfant aux cheveux blonds et aux yeux bleus si expressif. Elle s'occupe de l’enfant avec beaucoup de soin, le promenant, le faisant jouer, le surveillant, s'occupant toujours de lui. Elle ne veut pas décevoir sa patronne qui aime son enfant comme la prunelle de ses yeux.

En cette après-midi radieuse du 28 novembre 1935, Georgette Perrachon possède toutes les raisons de remercier le ciel de lui avoir fournit un tel travail.

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II / Après-midi au Parc Amable Chanot :

Nurses au Parc Chanot

Nurses au ¨"Parc Chanot" fin annèes 10


Quel marseillais ne connaît pas ce célèbre parc qui s'élève sur l'emplacement de l'ancienne exposition coloniale de 1906 ?

En 1935, c'est un lieu de promenade apprécié de tous les marseillais, et plus particulièrement par les nurses et les enfants qu'elles gardent. Ces enfants, dans leur grande majorité, appartiennent à la bourgeoisie et la haute société marseillaise.

En effet, les nurses qui viennent dans ce parc travaillent pour la plupart dans des familles habitant l'avenue du Prado ou la rue Paradis, le fameux quartier Prado/Saint-Giniez. Or, durant la période de « l’entre deux guerre », ce quartier est devenu peu à peu « grand bourgeois », regroupant en son sein la plus grande majorité de la haute société marseillaise. Les enfants que ces nurses gardent sont  donc des enfants « privilégiés » !

Comme elle le fait chaque après-midi dès que le temps le permet, Georgette Perrachon y a donc amené le petit Claude.

Elle s'est installée sur un banc de l'allée principale, à proximité des grilles d'entrée, ouvrant le sac de jouets qu'elle a amené pour que l'enfant puisse y accéder plus facilement. Tandis qu'elle observe les autres nurses, Claude joue dans son landau, un landau aux formes aérodynamique de couleur gris bleu avec des filets blancs, un landau "moderne" comme on dit à l'époque.

Il est maintenant près de seize heures. Cela fait plus d'une heure qu'ils sont dans l'enceinte du Parc Chanot quand les événements vont se précipiter.

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III / L'inconnue :


Alors qu'elle jette un regard distrait vers l'entrée principale, Georgette Perrachon voit venir vers elle une femme d'une soixantaine d'années dont la corpulence est proportionnée à sa taille moyenne.

Vêtue d'un long manteau noir avec un col en fourrure, coiffée d'une toque qu'elle porte enfoncée, cachant tant bien que mal ses cheveux blancs, une stricte paire de lunette à verre ordinaire sur le nez, boitant légèrement et s'appuyant sur une canne au bout en caoutchouc, elle paraît pressée, presque affolée, semblant chercher désespérément quelqu'un.

Dans son for intérieur, la jeune fille ne peut s'empêcher de se dire que cette vieille femme lui rappelle quelqu'un, sans toutefois pouvoir mettre un nom sur cette silhouette. Elle est encore plus surprise de voir soudain l'inconnue fondre sur elle, un large sourire de soulagement aux lèvres. Visiblement, c’est elle qu’elle cherchait !

Sans reprendre son souffle, la vieille femme s'adresse à elle sur un ton autoritaire avec un accent du nord qui aurait presque fait sourire la nurse si elle n'avait pas été aussi surprise.

«  Ah ! Vous voici ! Vous êtes bien la nurse de Madame Malmejac, n'est ce pas ? Dépêchez-vous, je viens de la part de votre maîtresse. Votre patron a été victime d'un grave accident. Un taxi nous attend et j'ai pour mission de vous emmenez, vous et l'enfant. Il nous faudra aussi passer chez le docteur Crémieux, au 255 rue Paradis, pour lui demander de bien vouloir donner tout de suite des soins au docteur Malmejac. »

La nurse est dans un premier temps surprise par cette tirade puis atterrée par le drame touchant la famille qui l'emploie. Le choc passé, retrouvant ses esprits, la jeune fille reconnaît enfin l'inconnue. Elle l'a croisé la veille dans la cage d'escalier de l'immeuble de ses patrons. La vieille femme était alors en compagnie de la concierge qui semblait la connaître. Elles ont toutes trois échangé quelques mots et la vieille femme l'a même complimenté sur la beauté du petit Claude.

Georgette Perrachon n'a aucune raison de se méfier de cette vieille femme et encore moins de ne pas la croire. Le ton employé a, de plus, alarmé la jeune fille. Très inquiète, la jeune nurse récupère l'enfant et emboîte le pas à la vieille femme qui est en train de se diriger vers la sortie du Parc Chanot, sans réellement l’attendre.

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IV / Le voyage en taxi :

Taxi Mattei

Taxi Mattei en 1935


Devant l'entrée principale du Parc Chanot, un taxi de couleur verte, drapeau baissé, moteur en marche, attend patiemment.

En voyant arriver la vieille femme, le chauffeur descend de son taxi, compatissant. Il aide alors la jeune fille à placer le landau sur le plancher arrière de la voiture. Puis la jeune nurse, le petit Claude dans les bras, toujours accompagnée de la vieille femme, prend place sur la banquette arrière du véhicule.

« 255 rue Paradis ! » ordonna l'inconnue au chauffeur de taxi en train de s’installer au volant.

Tandis que le taxi se dirige vers l'adresse indiquée, descendant l'avenue du Prado en direction de la plage, la vieille femme reprit la parole, expliquant calmement :


« Comme vous le savez peut-être, je dois louer un appartement voisin à celui de votre patron. Hier, je suis venu visiter l'appartement du deuxième étage. Il me convient. Je vais devenir votre voisine. Aujourd'hui, étant retourné pour une seconde visite, j'ai vu madame Malmejac toute bouleversée. Son mari venait d'être victime d'un grave accident. Comme j'avais un taxi à ma disposition, je me suis offerte. Votre maîtresse m'a alors prié de venir vous chercher, vous et l'enfant, et d'amener également le docteur Crémieux, ami de votre patron. »

Difficile de ne pas croire un tel récit d’autant plus que la nurse sait que le docteur Crémieux est un ami de la famille.

Moins de cinq minutes plus tard, le taxi stoppe enfin devant le 255 rue Paradis où loge le docteur Crémieux. La vieille femme, se tournant vers la nurse, lui expliqua :

« Vous êtes jeune. Montez vite chercher le docteur ! »

Elle hésita un court instant avant de rajouter :

« Mais j'y pense, madame Malmejac est pressée de voir son enfant et peut-être le docteur Crémieux vous fera attendre. Si vous tardez trop, je ramènerais l'enfant à sa mère ! »

En disant cela, la vieille femme parait d’une sincérité et d’une bonne foi entière. La méfiance habituelle de la nurse est ébranlée. Après un court moment d'hésitation fort compréhensible, Georgette Perrachon obéit et descend du taxi pour aller chercher le médecin, laissant le petit Claude à la garde conjointe du chauffeur de taxi et de la vieille femme si obligeante.

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V / L'enlèvement :


Lorsqu'elle pénètre dans les locaux du docteur Crémieux, la jeune nurse s'aperçoit que les inquiétudes de la vieille femme étaient justifiées. Le médecin est très occupé par une consultation qui traîne en longueur. Il ne peut recevoir la nurse qu'une dizaine de minutes plus tard.

Dès qu'il prend connaissance de l'accident survenu à son confrère, le docteur Crémieux n'hésite pas la moindre seconde. Se saisissant de sa trousse, il abandonne sa clientèle pour suivre en urgence la jeune nurse.

185 avenue du Prado

Le 185 avenue du Prado en 2015
(Image et (c) Google Streetview)


Au bas de l'immeuble, la nurse constate que le taxi ne l'a pas attendu mais, vu le temps qu'elle a mis pour récupérer le médecin, cette absence ne l'inquiète pas outre-mesure. Il est évident que cette vieille femme si dévouée a ramené le petit Claude à sa mère.

La nurse et le médecin se rendent donc à pied au domicile proche des Malmejac, au quatrième étage du 185 avenue du Prado, à l'angle du Prado et de la rue Liandier.

A la très grande surprise de Georgette Perrachon et du docteur Crémieux, c'est une madame Malmejac souriante qui vient leur ouvrir.

« Monsieur Malmejac n'est pas blessé ? » Interroge le docteur Crémieux, presque gêné.

Mais la nurse vient de comprendre.

« Où est Claude ? » questionne t'elle affolée

Il faut vite se rendre à l'évidence : Claude Malmelac a disparu

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