« Incendie des Nouvelles-Galeries » (Introduction)
Pour vous faire une idée, l’introduction du « Tome I » des « Chroniques de Marseille » :
Marseille, vendredi 28 octobre 1938…
Ce jour-là, le temps est maussade sur la cité phocéenne. Le mistral souffle sur la ville depuis la veille, faisant chuter le thermomètre. Depuis vingt-quatre heures, la ville vit au rythme du Parc Chanot où se déroule le congrès annuel du Parti radical. C’est un congrès d’importance puisqu’il doit simultanément entériner deux changements majeurs dans la politique extérieure de la France, mais aussi en politique intérieure. En effet, ce congrès doit approuver les « Accords de Munich » et enterrer définitivement le Front populaire. Les journaux locaux sont, pour une fois, au diapason avec la presse parisienne et ne s’intéressent qu’à ce congrès capital.
Toutefois, malgré les nombreux projecteurs braqués sur la ville, la population continue à vivre sa vie, indifférente à la présence de ces politiques, insouciante peut-être aux menaces qui pèsent sur elle. C’est ainsi que, sur le Vieux-Port, les poissonnières continuent, à écouler le produit de la pêche ramené par leurs maris, que le port, véritable poumon économique de la ville, continue à battre des records, et que la vénérable Chambre de Commerce de Marseille s’enorgueillit de l’explosion du volume des échanges commerciaux.
Insouciante, la vie l’est. On ne veut assurément pas considérer les nuages menaçants en provenance de l’Allemagne nazie. Malgré l’implication de nombreux Marseillais dans la guerre d’Espagne, on ne veut pas entendre les nouvelles dramatiques en provenance de Barcelone et Madrid. Malgré les nombreux Italiens présents dans la ville, on préfère ignorer l’Italie fasciste. Les nuages sont nombreux, mais les Marseillais tentent de vivre normalement.
Comme ces deux femmes de la bourgeoisie locale (dont Mlle Alexis, la fille du puissant directeur de la « Compagnie des Docks et Entrepôts ») qui, en ce début d’après-midi, décident de se rendre aux « Nouvelles-Galeries » pour effectuer quelques emplettes.
Il est aux alentours de quatorze heures trente lorsque leur véhicule arrive à hauteur du magasin, fleuron du négoce marseillais. Elles éprouvent la surprise de sentir leur voiture ralentir tandis que leur chauffeur, se tournant vers elles, leur déconseille vivement de se rendre dans ce temple de la vente. Il leur montre alors la fumée noire qui monte d’une fenêtre du premier étage du magasin, au coin de la rue de l’Arbre . Tandis que la voiture poursuit sa course vers le haut de la Canebière, les deux femmes ne peuvent s’empêcher de se retourner pour observer le déroulement de ce qui ressemble encore à un modeste feu de rayon. Soudain, les flammes apparaissent derrière la fenêtre voisine avant de se propager horizontalement vers la droite, vers l’immeuble « Detaille ». Elles cheminent en ondulant, au-dessus de la marquise, à hauteur du premier étage.
Les badauds, présents sur le trottoir devant les vastes vitrines du magasin, ne se doutent de rien. Ils ne prennent réellement conscience que quelque chose d’anormal se déroule uniquement au moment où les vitres du magasin en éclatant, s’abattent en une pluie de verre aux alentours. Un mouvement de foule a lieu sur le trottoir. Paradoxalement, aucune sortie massive du bâtiment ne révèle une quelconque panique à l’intérieur.
Trois ou quatre minutes tout au plus, après la première apparition extérieure de l’incendie, les deux femmes virent soudain les flammes jaillir de la façade. Elles étaient accompagnées d’une épaisse fumée noire, sur toute la longueur du premier étage.
À quatorze heures trente, ce vendredi 28 octobre 1938, le drame des « Nouvelles-Galeries » venait de commencer.
Dans cet opuscule, nous allons étudier cette catastrophe qui coûta la vie à soixante et quinze personnes. Elle fit aussi perdre à la ville son autonomie politique, pour passer sous la tutelle administrative de l’Etat.
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