01/01/1930 : « le combat de dupe »
En cette fin des années vingt, l’ancien boxeur parisien Al Francis reconverti en manageur de boxe, a passé un contrat avec l’école de boxe marseillaise dirigée par Marcel Lisanti. Dans cette école, plusieurs boxeurs sont prometteurs et auront d’ailleurs des destins nationaux voire internationaux. Parmi eux, Francis Buonagure, dit « Kid Francis » qui lui surclassera tous les autres. Le seul handicap de ce jeune boxeur prometteur : avoir pour oncle François Spirito qui, avec son ami Paul Carbone, domine la pègre marseillaise.
Fin 1929, Al Francis, voyant la forme de son poulain, pense passer à la vitesse supérieure. Fini les petits combats, c’est la planète qui attend son boxeur qui peut arriver sans problème à décrocher un titre européen, voire même mondial. Pour prétendre à l’un de ces titres, passage obligé, Kid Francis doit combattre quelques adversaires de bonne renommée.
Le trio qui sera à la manouvre le 10 juillet 1932 se met en place au début des années trente. Al Francis fournit le boxeur et son adversaire, Mr Sol, le directeur des Arènes du Prado, propose son établissement pour l’organisation du combat, François Spirito, en sous-main, chapeaute tout cela.
Georgie Mack, classé troisième poids coq mondial, correspondrait au boxeur recherché mais il y a un léger problème : Georgie Mack à la réputation d’un tueur. Or, pour Al Francis, il faut que l’adversaire du « Kid » soit un boxeur réputé mais il ne veut pas d’un homme dangereux qui pourrait briser d’un coup de poing la belle ascension de son poulain.
François Spirito explique calmement au manager de ne pas s’inquiéter et, pour noël 1929, une semaine avant le grand match programmé pour le 1er janvier 1930, Georgie Mack débarque à Marseille. La presse locale fait grand bruit autour de son arrivée. Les envolées lyriques du « Petit Marseillais » ou du « Petit Provençal » n’ont rien à envier à celle du « Radical ».
Les « spécialistes » marseillais annoncent un dur combat pour le Kid. Le style que Georgies Mack présente sur le ring d’entrainement fait plus penser à celui d’un bucheron en plein travail qu’à un boxeur professionnel. « Ce va être dur » ne cesse de prédire le « Petit Marseillais ».
Le 27 décembre 1929, l’hebdomadaire « Sport de Provence » sous la plume d’un journaliste pigiste spécialisé en boxe, Pierre Tarbouriech, jette un pavé dans la mare en doutant ouvertement de l’identité de Georgie Mack.
A la suite de cette publication Mr Sol accompagné de François Spirito, viennent menacer le journaliste sur son lieu de travail pour qu’il retire ses affirmations. La presse marseillaise, de son côté, ignore la « bombe Tarbouriech » et continue à présenter le combat comme le plus grand combat de l’année.
A la pesée, certains s’étonnent de voir Georgies Mack escorté et couvé par François Spirito en lieu et place d’un manager américain, par ailleurs étrangement absent.
En ce 1er janvier, on se croirait en Avril. Il fait beau, chaud et tout le « gratin » de Marseille est de sortie pour voir ce match dans des Arènes pleines à craquer.
Mr Benso, le délégué de la Fédération Française de Boxe, réclame les licences aux deux boxeurs. Si pour Kid Francis, cela ne pose aucun problème, François Spirito est obligé d’intervenir pour Georgie Mack qui, selon ses dires, « a oublié sa licence aux U.S.A. »
Le délégué, qui pourrait interdire le match à cause de cet oubli, préfère se contenter de consigner l’incident dans son rapport, sans élever la moindre observation.
Pierre Tarbouriech, de son côté, voit l’accès aux Arènes lui être refusé. Puisqu’il doute de l’identité d’un des deux boxeurs, il n’a aucune raison d’être présent, lui explique peu courtoisement Mr Sol.
Le match se déroule dans un climat houleux car il ne faut qu’une poignée de seconde au public pour s’apercevoir que le Georgie Mack présent sur le ring n’est pas un vrai boxeur. Kid Francis, bien entendu, n’est pas dupe. Il préfère s’amuser et prend son temps. Il sait que le public ne veut pas d’un combat trop rapide et trop facile. Le problème, c’est qu’encaisser les coups, même retenu, d’un Kid Francis, n’est pas une sinécure. Et l’homme qui les reçoit prend le parti, au début du deuxième round, de se coucher ! Les spectateurs hurlent au scandale. Une rumeur incontrôlée monte des premiers rangs. Georgie Mack n’est pas Georgie Mack et le match est bidon.
Le tumulte va encore augmenter avec le second combat de la journée, Guy Bonogaure, l’enfant du pays, contre Raymond Trêves, le lillois. Là encore, le combat n’est pas à la hauteur des attentes. Au second round, drôle de coïncidence, Raymond Trèves se couche aussi !
La suite est un imbroglio total avec émeute, tentative d’incendier les arènes, intervention de la troupe … Pas de mort mais plusieurs dizaines de blessés et surtout une image sportive de Marseille fortement écornée.
La rumeur marseillaise donnera une explication, quelques jours plus tard. Et quand on connait la véracité de « la rumeur marseillaise », il est fort probable que l’on touche au plus près la réalité des faits.
Le Georgie Mack qui s’est présenté ce 1er janvier 1930 sur le ring des arènes du Prado est en fait un soutier d’un cargo anglais amarré alors au Cap Pinède. Quelques jours auparavant, François Spirito a envoyé ses lieutenants sur les quais de Marseille à la recherche de l’oiseau rare, si possible anglais ou américain, qui pourrait tenir quelques rounds contre son poulain de cousin, Kid Francis. Le pigeon a donc été trouvé et baptisé « Georgie Mack »
Pour Pierre Tarbouriech, cela faisait longtemps que cette « arnaque » était éventée. A l’inverse de ses homologues, le journaliste pigiste de « Sport de Provence » avait mené un semblant d’enquête. A l’époque où internet n’existait pas, cette enquête passait par des gens comme Robert Bré de « l’Intransigeant » ou Jeff Dickson, l’organisateur de combat parisien. Et qu’est-ce que l’enquête de Pierre Tarbouriech avait révélé ? Que Georgie Mack, de son vrai nom George DeMatteo, originaire du New-Jersey est un boxeur blanc. Or, le Georgie Mack que présente les organisateurs, est un … métis.
Cette enquête fracassante, ne fera pas sortir Pierre Tarbouriech de son statut de journaliste pigiste. Au contraire, il sera aussi en butte à l’hostilité déclarée de François Spirito de nombreuses années.
La suite est une autre histoire que je conterais bientôt …
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